Culture

Portrait de Hugues Vassal

Droit à l’image

Le co-fondateur de l’agence Gamma, Hugues Vassal, a reçu la décoration de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres des mains de son « élève », Sebastião Salgado. Un juste retour des choses pour le photographe qui bénéficia d’un coup de pouce décisif du « maître » en 1975 alors qu’il fuyait la dictature qui sévissait au Brésil.

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Une image photographique est constituée d’ombre et de lumière. La vie d’Hugues Vassal aussi. L’enfant qui découvre les joies des premiers congés payés subit de plein fouet les privations de la guerre.

En 1953, il entre à 20 ans chez France Dimanche, l’hebdomadaire des stars au million d’exemplaires. « Pauvre, timide, sans matériel photo, je couvrais les chiens écrasés. Je voulais devenir fonctionnaire des douanes tellement on avait faim à la maison. Les photographes avaient l’habitude de déjeuner quartier des Halles à Paris. Comme chaque midi, je restais seul avec mon sandwich à la rédaction lorsque le journaliste de permanence me demande de rejoindre immédiatement Édith Piaf au théâtre de Dijon pour immortaliser son nouvel amant. Je prends le seul train disponible et me retrouve en coulisses. Tétanisé. »

Nous sommes le 4 novembre 1957 et la Môme adoube Hugues Vassal : « Tu seras mon photographe, me dit-elle. Mais tu me prends en photo telle que je suis. Belle, pas belle, en colère, je pleure, j’ai mal… tu ne demandes pas la permission, tu shootes ! » Le jeune homme accompagne la star dans son intimité jusqu’à son décès en 1963.

« Dans le café au lait des stars »

De ce compagnonnage, il tire six ouvrages, des expositions, des conférences et deux spectacles dont l’un est mis en scène par le Tourangeau Nello.

Charles Aznavour l’embarque lors de son concert au Carnegie Hall de New York fin 1963, l’impresario Johnny Stark lui présente Johnny et Sylvie… « Je suis devenu photographe du showbiz avant Salut les Copains. »
Il côtoie les célébrités : Gainsbourg, Sheila, Antoine, Bécaud, Christophe, Mireille Mathieu, Brel… Mais les lendemains de fête ne sentent pas toujours la rose. « Les paillettes, ça ne pouvait pas durer. Quand on m’a dit de forcer le passage jusque dans la chambre d’hôpital du fils malade de Gérard Philipe, j’ai refusé et j’ai su que je devais me tirer… » La graine avait germé dans son esprit. Il fonde l’agence de photoreportage Gamma fin 1966 avec Hubert Henrotte, qui lancera Sygma en 1973, Jean Monteux, Raymond Depardon, cinéaste césarisé et Gilles Caron, disparu au Cambodge en 1970.

Les photographes étaient très mal payés, rappelle Solène Vassal formée à la photo par Hugues Vassal. Le principe de Gamma est simple : 50 % des revenus des ventes de photos aux auteurs et 50 % à l’agence. Une révolution dans le métier ! Sebastião Salgado.

« L’apartheid en une image »

Il est l’un des premiers à entrer en Chine, devient portraitiste attitré de la famille du shah d’Iran et voyage autour du monde. En 1969, une image, prise près d’une mine d’or à Bloemfontein en Afrique du Sud, résume à elle seule l’apartheid alors que Mandela croupit en prison.

« Nous arrivons à Johannesburg avec mon binôme et sommes mis en résidence semi-surveillée. Reclus dans notre hôtel, nous acceptons immédiatement la proposition du ministère de l’Information de réaliser un reportage sur des danses zouloues. Je me retrouve avec la photo toute faite devant moi : les noirs et les blancs assis dans les gradins, séparés par une corde. Je fais semblant de photographier les danses… et redresse discrètement mon appareil pour faire mon plus beau cliché. »

L’agence aura couvert tous les conflits sur tous les continents et diffusé les travaux de plus de 6 000 photographes. Parmi eux, beaucoup de célébrités. Fuyant la dictature au Brésil, un étudiant en économie âgé de 25 ans, Sebastião Salgado, se réfugie avec son épouse à Paris en 1969. Il réalise qu’une image est plus parlante qu’un rapport truffé de  chiffres et frappe, en 1975, à la porte de l’agence Gamma. « Je n’ai jamais oublié qu’Hugues Vassal m’a permis d’avoir ma carte de travail, raconte celui que Wim Wenders a filmé en 2014 dans ” le Sel de la terre “. Hugues est intervenu auprès du consulat brésilien avec Jean Monteux pour que je récupère mon passeport confisqué et il s’est même rapproché du gouvernement pour que j’obtienne la nationalité française. »

C’est avec la plus grande joie que l’ambassadeur de bonne volonté de l’Unicef (depuis 2001) a accepté de remettre, le 9 octobre dernier à l’Hôtel de Ville, la décoration de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres à « son patron ». Le geste de reconnaissance de l’« élève » au « maître » fait mouche. La voix d’Hugues Vassal est étreinte par l’émotion. « J’ai souvent pensé à lui dans des moments difficiles. J’étais dans une grande misère et j’ai lu dans Le Républicain Lorrain un grand reportage sur Sebastião où il rappelait que tout avait commencé grâce à moi et à Gamma. Cela m’a donné une force morale qui m’a fait remonter la pente. » Ombre est lumière.

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