mighty au studio
©b. Piraudeau

Culture

Portrait de Mighty

L’école du micro d’avant

Mighty a fait de son studio d’enregistrement, le Tistudio, un lieu ouvert dont la vocation sociale s’est affirmée depuis son rattachement au centre social Pluriel(le)s.

Publié le

Tout le monde m’appelle Mighty, même à la Préfecture.

Naissance en Martinique, adolescence en Guyane, Yann Luc débarque en métropole « il y a 20 ans pour des études supérieures, mais j’ai fait semblant », avoue-t-il. Le sourire est large comme cette envie de musique qui prit le pas sur ses études en licence administration économique et sociale. Il est devenu Mighty Ki La, chanteur solo (reggae dancehall) et après 15 années de carrière, il l’interrompit. L’événement déclencheur fut la naissance de son fils : « Mon père était bassiste, il aimait trop la musique à mes dépens. Je ne voulais pas reproduire ce schéma avec mon fils. »

Auteur-compositeur de singles à succès, de trois albums et d’innombrables featurings, Mighty, s’il est « en sommeil », poursuit néanmoins de réveiller le flow de la jeunesse qui l’environne. Adulte-relais au centre social Pluriel(le)s, il la canalise et la révèle. Des « enfants », il n’en compte plus un d’unique, mais de nombreux – « 15/25 ans en majorité et jusqu’à 60 ans » – qui toquent à la porte du « Tistudio », avenue Charles-de-Gaulle, que ce soit « pour monter un projet, déjà avancé ou, parti de rien » ou pour se réunir autour d’« open mic » le vendredi. « C’est 60 % culture hip hop et pour le reste, c’est très varié slam, rock, variété, gospel, R’n’B, etc. J’ai même de la rumba congolaise… » Pour moitié, son activité consiste en l’organisation de rencontres avec des gens du métier, tel le célèbre réalisateur de clips Chris Macari.

Principe de réalité

« Le médiateur, souligne-t-il, c’est le gars qui part à la rencontre des jeunes. En ce qui me concerne, ce sont les jeunes qui viennent à moi, ceux qui n’allaient pas forcément au centre social, explique-t-il. Je les accompagne (ateliers d’écritures, répétition, composition, enregistrement, initiation à l’ingénierie son) et je n’impose rien, je leur donne juste les moyens de s’exprimer, je les aiguille le cas échéant vers des dispositifs d’aide à la création, comme Envie d’Agir. »

Photos, vidéos, clips, effets spéciaux sur fonds verts, etc. de A à presque Z (il ne fait pas le mastering), tout ce qui sort d’ici se veut instructif et qualitatif ».

« 90% des jeunes que je croise n’’ont jamais vu de concert de leur vie, regrette-t-il. Beaucoup n’ont jamais eu en vrai un instrument entre les mains, alors j’ai ramené une guitare et une basse. En fait, ils se disent, voilà comment ça marche : Je vais en studio enregistré mon son, je le mets sur les réseaux sociaux et c’est gagné.

Il découvre qu’il faut 10 ans de travail et beaucoup de chance pour être connu « du jour au lendemain ». Il faut de la rigueur, de la discipline, être à l’heure au rendez-vous. Et quand bien même, comme moi, vous cumulez un million de vues sur Youtube, vous n’en vivez pas. La plateforme a dû me reverser une centaine d’euros, alors tout de suite, ça déchante quand je le raconte. L’important est ailleurs. »

Mighty recentre ses visiteurs sur l’âpreté du métier et sur la possibilité qu’il offre de s’extérioriser, de monter sur scène, même la plus petite, de gagner par là en confiance, ce qui servira toujours.

Micros prêts à l’ouvrir

Avant la pandémie, Mighty avait composé une musique sur laquelle 27 jeunes artistes non-professionnels ont tour à tour posé leur voix, leurs inspirations, leurs furieuses grâces, leurs féroces envies d’expressions libres, leurs désirs d’être eux-mêmes trois minutes durant : « D’un morceau à l’autre, ma musique s’efface derrière ce qu’ils apportent : leur couleur et la force ont rendu chaque titre singulier. »

Aujourd’hui, le disque est prêt, sous blister, dans des cartons ; ses contributeurs devaient participer à la réouverture du Bateau Ivre, faire des tournées radio, une série de concerts : « Tout est bloqué. C’est frustrant et ça boue… » Faut-il se consoler : Mighty sera toujours là demain et des voix anonymement remarquables, avec lui, ne seront pas muettes éternellement. Le plus extraordinaire est d’apprendre qu’elles sont celles d’un voisin, d’une voisine et l’on souhaite qu’elles percent le plus vite possible, à commencer par ce grand brouillard sanitaire.

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