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Lauryne BRANKAER, boxeuse professionnelle et étudiante en médecine, dans le quartier des Fontaines à Tours mercredi 19 juin 2024.

Portrait de Lauryne Brankaer

ANATOMIE D'UNE LUTTE

Externe en médecine, Lauryne Brankaer, 22 ans, est la première boxeuse d’Indre-et-Loire passée professionnelle. Ce qu’elle est et ce qu’elle fait révèle le double ressort de notre nature humaine. Texte : Benoît Piraudeau

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Mesdames et Messieurs, dans le coin rouge, la douce science des coups : la boxe !
Dans le coin bleu, la dure science des corps : la médecine ! »

Le lecteur trépigne. Si les deux passions de Lauryne s’affrontaient, quelle partie d’elle-même l’emporterait sur l’autre ? « Je ne prête jamais attention à ce que dit le speaker au moment de combattre », dit-elle, mais entend qu’on la pousse dans les cordes d’un mystérieux paradoxe. Père de la médecine, Hippocrate en fut témoin lorsque Platon, penseur de la Raison, décrocha le titre de champion olympique de pancrace (ancêtre de la boxe). Or, « pour pratiquer un sport de combat, il ne faut pas être raisonnable. En montant sur le ring, les boxeurs savent qu’ils peuvent risquer leur santé. »

La mise au poing

L’argument a de l’allonge, il émane du médecin de la Fédération française de boxe. Aussitôt, Lauryne casse la distance entre elle et lui, ajoutant que « le risque existe aussi à l’entraînement », puis elle crochète :

« La boxe exige hygiène de vie et activité physique constante, diminue les risques de morbidité cardiovasculaire et pulmonaire. Combattre ne peut pas être déraisonnable, c’est le seul moyen de rester performant et la santé du boxeur, largement prise en charge. Si un sport m’a rendu malade, c’est le badminton ! alors que prendre des coups ne m’a jamais fait peur. »

Biboune” Corsellis, soigneur des champions Sofiane Khati et Priscilla Peterlé, l’est aussi de Lauryne, son « cutman » aux doigts qui swinguent, aussi habiles à stopper une hémorragie en moins d’une minute qu’à gratter les cordes de sa guitare manouche. C’est en débarquant au club de Belleville-sur-Loire que celui-ci l’a découverte. Pas encore surnommée “El Doctor”, l’internationale jeune de 14 ans avait déjà une frappe chirurgicale. L’ange gardien la prend sous son aile. Lorsqu’elle quitte le Berry pour la Touraine, c’est aux bons soins de Nedjid El Baja à Tours qu’il la confie : « Ne t’inquiète pas, il sait ! » Fondateur de la El Baja Boxing Academy, “Ned” plut aussitôt à Lauryne. Avec lui, elle passe pro en 2022. « Honnête et respectueux », il adapte son coaching pour qu’à la pesée, les enjeux sportifs et universitaires s’équilibrent : « La difficulté, admet-il, c’est de trouver la boxeuse qui lui disputera le titre de championne de France, elles sont peu nombreuses. » En amateur, Lauryne enregistre 20 victoires/32 combats (5 par KO). En pro, c’est un sans-faute : 5 victoires/5 combats (2 par KO), palmarès dont « son sérieux » est seul “comptable”, profession de sa mère Sophie qui lui a « transmis les valeurs de l’apprentissage » : « Lauryne excelle dans tout ce qu’elle fait. À 4 ans, s’étonne-t-elle encore, elle avait appris à lire juste en écoutant les leçons de son grand frère Heindrick. » Bienveillant, celui-ci participe depuis deux ans au championnat du monde de Ninja Warrior et apprécie d’autant « le parcours de combattante » dans lequel sa sœur s’est engagée : 10 ans d’études pour être médecin légiste.

L’aigle et le moustique

« Son coup au foie est puissant et précis », expertise Ned et Biboune de constater : « Elle voit les erreurs adverses avec un temps d’avance sur nous. C’est une télécommande, appuyez sur une touche, elle s’exécute », trouve le bon programme, combinant exaltation et fin heureuse. Le noble art n’étant pas pour elle une affaire d’argent, aucun risque de la voir rejouer Million Dollar Baby. Le stress, elle l’éponge, lançant en riant à plus tendu qu’elle : « Au pire, je vais perdre. »

Œil perçant de l’aigle à l’envergure inatteignable, « agaçante comme le moustique qui vous fait passer de mauvaises nuits », elle se rêve « légère comme le vent, solide comme la pierre », mais au final, tranche son cutman, « elle boxe, un point c’est tout », le reste n’est que littérature. Joyce Carol Oates peut écrire « la boxe est notre théâtre tragique. L’individu réduit à lui-même », si Lauryne trouve cette interprétation de la romancière « plutôt vraie », elle ne saurait en elle disséquer par les mots ce qui ne peut être touché par les mains, dont elle admire surtout l’anatomie, « tout ce que l’on peut faire avec ». Chaque fois qu’elles disparaissent sous les bandages, puis au fond des gants, la boxe et la médecine révèlent leur point commun : la douleur et l’espoir d’en triompher. Le père de Lauryne a connu l’une et l’autre.

Parcours de combattante

Robert Brankaer boxait en amateur ; un AVC le priva de son “jeu de jambes”. Chauffeur poids lourd, il le retrouve après sept opérations. Lauryne a 15 ans ; cette épreuve incline le « poids coq » à se lever plus encore pour « chercher et comprendre » la cause de toutes choses, a fortiori des maladies et de la mort. « Dans les deux cas, la médecine légale constate et aide la victime à comprendre, ou ses proches à faire leur deuil ». La vie demeure l’arbitre sur le ring : elle sépare, juge, vous fait repartir vers un coin ou vers un autre. C’est une lutte, parfois un destin. Née en banlieue parisienne, celui de Lauryne était de grandir à Léré.

Entre Tours où vit Lauryne et la petite commune rurale, saint Martin est l’inattendu trait d’union : une figure duale, moine soldat et guérisseur, dont le corps fut transporté de Tours à Léré pour y être caché en son église à deux reprises lors des invasions normandes. Robert l’ignorait, qui cherchait ici « une vie meilleure ». Le village était surtout à 9 minutes du boxing club bellevillois où il conduira son fils, puis sa fille de 12 ans, laquelle ne se fera dès lors plus prier, au son de la cloche, pour se livrer corps et âme à de sacrés combats.

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L’interview de Lauryne Brankaer

Avant de débuter une petite séance d’entrainement face à l’excellente Imen Boucetta, boxant en amateur à la El Baja Boxing Academy, Lauryne Brankaer, passée pro en 2022, a pris le temps de répondre à nos questions.

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