benedicte florin
© Ville de Tours

Exposition, Vie Sociale

Portrait de Bénédicte Florin

L’exposition Voyage au cœur de nos poubelles est visible jusqu’au 16 juillet au Botanique. Chercheuse de l’Équipe Monde Arabe et Méditerranéen (UMR CITERES) de l’université de Tours, la géographe Bénédicte Florin en est la commissaire scientifique.

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Les déchets à la trace

Après une thèse sur les quartiers populaires du Caire, Bénédicte Florin s’est intéressée au face-à-face entre l’État égyptien et les zabbâlîn, chiffonniers coptes très stigmatisés dans leur pays, même si médiatisés en France par Sœur Emmanuelle :

« Aujourd’hui, les zabbâlîn ramassent 11 000 tonnes par jour d’ordures, soit presque la moitié de celles produites par la ville ! Ils en recyclent 80 % grâce à leur ingéniosité ; leurs cochons mangent les restes alimentaires tandis que les matériaux recyclables sont transformés dans leurs ateliers ou revendus aux usines. »

Pourtant, en 2002, le gouvernement égyptien confiait la collecte des déchets à des multinationales européennes à des fins de « modernisation ».

Ce transfert de modèle Nord-Sud échoue comme l’expliquait alors à la chercheuse Romani, chiffonnier : « Tout le monde était contre ces entreprises étrangères. Les habitants s’étaient habitués à ce que « leur » chiffonnier vienne prendre la poubelle à leur porte. Personne n’était venu discuter avec nous et nous avons fait la grève de la collecte. De plus, le nouveau service coûtait bien plus cher ! » Cette « crise des ordures » s’achève par une épidémie de grippe porcine, prétexte, en 2009, à abattre leurs élevages :
« Sans les cochons, c’est fini, s’écrie Romani, ils n’ont qu’à les manger eux-mêmes leurs ordures ! ».
 
Depuis, les zabbâlîn se sont adaptés, de même que les autorités qui ne peuvent se passer de leurs services, explique Bénédicte : « Ce secteur constitue une quasi industrie du recyclage informel.  Mais, de façon plus générale dans le monde, y compris en France, « les petites mains » de la récupération et les industriels sont très utiles l’un à l’autre ».

Du Caire à Paris

Bénédicte a beaucoup cheminé du Caire à Paris, aux côtés de Pascal Garret, sociologue et photographe, partant à la rencontre des récupérateurs de Casablanca qui collectent dans les rues ou dans la décharge, « lieu ultime souvent violent, celui du rebut ultime, pourtant encore récupérable » ; à Istanbul, ils ont aussi croisé le destin de ces hommes des campagnes, Kurdes, jeunes migrants bloqués dans leur périple, qui réinsèrent dans l’économie du recyclage 30 % des matériaux jetés dans les poubelles.

Enfin, ils se sont intéressés au milieu des « ferrailleurs » de la banlieue parisienne, échangeant longuement, par ailleurs, avec les patrons des entreprises de recyclage pour comprendre le fonctionnement du système et les continuités entre ces deux mondes, l’un « formel », l’autre « informel ».

Regarder nos restes, c’est regarder notre monde

Pendant ce temps, les rois de la récup’ ferraillent toujours pour avoir « droit de cité », interdits de brocantes légales, soutenus par des associations. « Classe malpropre/classe dangereuse » rime toujours… Or, si nous les reconnaissions, souligne Bénédicte, nous pourrions passer d’une économie de la pauvreté à une économie populaire et peut-être améliorer une économie circulaire qui reste percée de partout… »

Dans la serre du Jardin Botanique, suspendus au-dessus de l’exposition Voyage au coeur de nos poubelles, les lustres de fleurs en plastiques, réalisés par des collégiens, sont
tristement éclairants : « Le suremploi de plastiques, à 99 % issus de composés fossiles, garantit aux multinationales des hydrocarbures de pouvoir encore lourdement polluer la planète même après la fin du moteur thermique. » Plus loin, devant la photo d’une grande décharge à ciel ouvert, de jeunes visiteurs s’imaginent en Inde.


En « Inde »-et-Loire alors ! C’eût été plus proche de la bonne réponse, s’agissant du centre d’enfouissement de Sonzay. Arrivé à saturation, celui-ci pose le défi du traitement des ordures ne pouvant être ni recyclées, ni confiées à la gueule infernale des incinérateurs, « ces Moloch qu’on voudrait toujours plus gros, plus puissants… Pour toujours produire plus, consommer plus ? », s’inquiète Bénédicte.

Néanmoins, l’exposition du Botanique ne verse pas dans le catastrophisme ou le défaitisme. Enrichie de nombreuses collaborations de chercheurs, d’étudiants, d’élèves ou d’associations, « elle met surtout en lumière les ingéniosités et savoir-faire des hommes et des femmes qui, ici chez nous, sauvent le déchet de la mise au rebut et qui le valorisent. »

La vérité au fond du puits

« Militants tiers-mondistes à Frères des Hommes, mes parents m’emmenaient dans l’Agora d’Évry, confie Bénédicte. Nous y vendions des briques à un franc pour financer des puits au Sahel. » Grâce à eux, elle a su très tôt l’envers et le revers de nos « temples de la consommation » : l’intime proximité de la richesse et de la pauvreté.

L’autre couple qu’elle forme dorénavant avec Pascal Garret, tous deux membres du comité scientifique de l’exposition Vies d’ordures (2017) au MUCEM* de Marseille, en prépare une autre, Métiers et savoir-faire Romanis prévue l’année prochaine. « Roms, migrants, mais aussi beaucoup d’autres Français oeuvrent au tri et à cette économie  circulaire qui, pour être salvatrice, insistent-ils, doit s’accompagner d’une réduction drastique de la production mondiale. »

* Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Marseille)
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