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Imen BOUCETTA et Lauryne BRANKAER sur le ring de la El Baja Boxing Academy, à Tours vendredi 3 mai 2024.

L’interview de Lauryne Brankaer

Parcours de combattante

Publié le

Avant de débuter une petite séance d’entrainement face à l’excellente Imen Boucetta, boxant en amateur à la El Baja Boxing Academy, Lauryne Brankaer, passée pro en 2022, a pris le temps de répondre à nos questions.

Par Benoît Piraudeau

Où as-tu grandi ?

Je suis née en région parisienne, à Champigny-sur-Marne. Rapidement après ma naissance, mes parents ont déménagé à Léré, dans le 18 Cher, où j’ai grandi en pleine campagne, avec mes parents et mon frère aîné Heindrick, jusqu’à mes 17 ans avant de me déplacer sur Tours pour débuter mes études de médecine.

Que pense ta mère de ton double cursus boxe/médecine ?

Pour ce qui est de ma mère, elle a toujours été très présente dans ma vie tant personnelle que dans mes études, mon parcours sportif… Aujourd’hui, je sais que malgré l’immense fierté qu’elle ressent à me voir accomplir tout cela, elle me poussera toujours d’avantage à poursuivre et me concentrer en priorité sur mes études.

Quels étaient, enfant et adolescente, tes centres d’intérêt ?

Depuis petite, j’ai toujours été passionnée de sport, plutôt de raquettes à l’origine avant de me tourner vers la gymnastique au collège et enfin vers la boxe. Il me semble avoir toujours eu une attirance pour les études, j’aimais apprendre de nouvelles choses. C’est certainement le fait d’avoir un grand frère à la maison qui m’a d’ailleurs donné ce goût-là, pour pouvoir être comme lui, savoir faire ce qu’il faisait. En plus, j’aimais être en avance sur mon temps, particulièrement à l’école, où j’ai pris un an d’avance sur ma scolarité, puisque j’avais appris à lire seule à la maison, avec les cahiers d’école de mon frère.

En dehors du cercle familial, avais-tu d’autres modèles ?

Je ne suis pas certaine d’avoir particulièrement eu de modèles extérieurs. Je dirais que c’était principalement mon frère et ma mère. Mon frère, par son naturel agréable, ses compétences physiques, d’autant plus en grandissant, je l’ai toujours admiré pour ça. Je pense d’ailleurs que c’est en grande partie grâce à lui que j’ai développé ce goût pour le sport en général, lui qui est maintenant bien installé dans le domaine du Ninja (sport que l’on peut voir à la télé avec Ninja Warrior) puisqu’il a participé l’année dernière aux Championnats du Monde aux USA et qu’il a été de nouveau sélectionné cette année.

Pour ce qui est de ma mère, c’est elle qui m’a permis de développer mon goût pour l’apprentissage, le fait d’être assidue en cours, et de vouloir faire de longues études.

Quelle place avait le sport dans le cercle familial ?

Plus jeune, il ne me semble pas avoir une image sportive de mes parents. C’est en revanche mon frère qui a commencé le sport en premier, avec le football notamment.

Pour ma part, je me suis dirigée vers le tennis dès l’âge de 6 ans, où j’ai commencé à faire des tournois dans la région. Je n’ai pas particulièrement de raison en tête de pourquoi ce sport, certainement parce que dans le peu d’offre sportive qu’il y avait à Léré, il y avait du tennis, et après une séance d’essai j’ai accroché suffisamment pour continuer. J’ai très vite été surclassée, et à l’âge de 9 ans je m’entraînais avec des personnes de 13/14 ans. J’ai pratiqué ce sport pendant 6 ans. Vers mes 10 ans je me suis mise au badminton, en plus du tennis, pendant deux ans. Cette fois-ci je saurais dire pourquoi : Déjà, j’avais pu expérimenter ce sport au collège et j’aimais beaucoup ça, en plus ça a tout de même un lien assez évident avec le tennis. Là aussi, j’ai pratiqué la compétition mais quelque chose ne devait pas aller, parce que je me rendais malade de stress pendant les tournois.

À partir de mes 12 ans j’ai commencé la boxe, à Belleville-sur-Loire. Et depuis la passion n’est jamais partie. À la différence du badminton, je n’ai ressenti aucun stress lors de mes premiers combats après seulement quelques mois d’entraînement.

Pourquoi avoir choisi médecine ? Quelle explication à ce choix ? Quel fut l’élément déclencheur dans ta vie qui a l’influencé ?

J’ai toujours été passionnée de sciences humaines, de toutes connaissances portant sur le corps humain, la santé en général. Petite, j’ai été attirée par le métier d’infirmière, avec la vision notamment des piqûres et autres gestes qu’elles peuvent réaliser que j’avais moi-même envie de faire. Avec l’âge, et notamment au lycée, j’ai vraiment développé cette volonté de devenir médecin, parce que j’avais pris conscience que certes, les études sont longues et difficiles, mais que j’ai les capacités de le faire, et qu’au vu de la diversité des métiers, je trouverais forcément ma place dans ce domaine.

En plus de cette curiosité du corps humain et de la santé, mon père a eu en 2017 de graves problèmes de santé, qui ont très certainement involontairement développé mon envie de comprendre pourquoi cela était arrivé, et comment faire pour améliorer tout ça.

Parle-moi de ta première rencontre avec Ned ? Le connaissais-tu avant ton arrivée à Tours ?

En arrivant sur Tours, je ne connaissais aucun entraîneur. C’est mon coach de Belleville, Biboune Corsellis qui m’a recommandé d’aller m’entraîner avec lui. La première fois que j’ai vu Nedjid, j’ai été accueillie comme s’il me connaissait déjà. Il m’a présenté à toute la salle dès la première séance. Comme de base je suis de nature assez réservée, c’était inhabituelle pour moi comme première approche. Cependant, j’ai vite vu qu’il était très à l’écoute de mes besoins, de mes disponibilités, et ça s’est toujours très bien passé depuis.

Comment réussis-tu à t’organiser pour allier études de médecine et entraînement ?

C’est assez compliqué. J’ai la chance d’être bien accompagnée, avec mon copain qui me pousse toujours à me surpasser, d’autant plus que l’on s’entraîne ensemble ce qui est toujours plus motivant. Une semaine type ce serait 5 à 6 entraînements de 1h30 en moyenne dans la semaine, avec jours de repos le mardi et/ou le jeudi, mélangeant boxe, course et musculation. A côté de ça, en période de stage, à l’hôpital de 8h à 18h ; et en période de cours, en révisions de 8h30 à 18h30. C’est assez sportif comme programme, mais en étant bien organisée ça se tient. A côté de ces deux grosses passions, je prends du temps pour moi, je vois les personnes que j’aime…

Tes connaissances médicales peuvent-elles être un atout sur le ring ?

Je ne pense pas que mes connaissances soient un atout à proprement parler pour les combats. Je connais les zones les plus douloureuses où taper évidemment, mais tout bon boxeur est au courant, ce qui ne me laisse pas vraiment d’avance sur ce point-là. En revanche, ça m’est clairement utile pour optimiser ma préparation, que ce soit en terme de nutrition, d’adaptation à l’effort, de récupération…

Ma combinaison préférée, c’est celle qui vient naturellement. Je suis arrivée à un niveau où je prends les informations sur mon adversaire sans avoir besoin de les conscientiser, donc c’est mon corps qui parle à la place de mon esprit.

Tu veux devenir médecin légiste. Est-ce à dire que tu préfères savoir comment une vie s’est-elle éteinte plutôt que de savoir par quels moyens tu peux la sauver ?

Je ne pense pas faire une distinction aussi grande entre ces deux facettes. Elles ont une énorme différence évidente, mais en s’y intéressant vraiment il y a de nombreux points communs entre les deux. Ce que j’aime dans le domaine médical c’est le côté recherches, investigations, examens pour trouver une cause à un évènement, que ce soit une maladie ou un décès. Il y a aussi le fait que dans les deux cas on aide une personne, une famille, des amis, à comprendre ce qu’il se passe. D’un côté on aide à soigner, et de l’autre on aide des personnes à faire un deuil qui serait certainement plus compliqué sans la médecine légale dans certains cas. D’autant que le médecin légiste n’intervient pas que dans le cas de décès, il fait également des interventions auprès de personnes violentées, agressées que l’on va aider sur le plan légal en faisant des constats et sur le plan psychologique par le soutien et le suivi ultérieur. 

Peux-tu nous expliquer ce qu’est, médicalement, un KO ?

Il faut savoir que la grande majorité du temps, un KO c’est un accident, un coup que le cerveau n’a pas anticipé ou n’a pas vu. Anatomiquement, le cerveau c’est comme une grosse balle qui flotte dans du liquide à l’intérieur du crâne. Quand on se prend un coup, le cerveau se déplace et se cogne contre les parois. Alors quand on voit le coup arriver, on peut l’anticiper, limiter le choc et ça va. Par contre, si le coup nous surprend, le choc va être trop violent, et pour nous éviter des blessures trop importantes, le cerveau se met comme en veille et c’est là que l’on tombe. C’est un moyen de protection naturel du corps.

Quelle sont tes forces et tes faiblesses, sur le ring et en dehors ?

Sur le ring, je suis quelqu’un de dur, de froid, je sais pourquoi je suis là et je veux le faire savoir. Je ne ressens pas de stress au moment des combats, uniquement de l’excitation, j’ai toujours hâte de monter sur un ring.

En dehors, c’est tout le contraire. Je suis quelqu’un de timide, réservée, plutôt angoissée. Le principal point commun c’est la motivation et la détermination. Là aussi, je sais ce que je fais, où je vais et pourquoi.

Comme tu m’as dit que tu aimais le principe de l’investigation, la recherche de la cause d’un événement, saurais-tu me dire par quel mystère biologique, les êtres humains expriment le besoin de s’affronter physiquement ?

(Rires) Alors là, je n’en ai aucune idée, je ne sais même pas si l’on peut réellement parler de biologie pour ça.

Peut-être que les hommes ont toujours eu un besoin de s’affronter pour se montrer plus forts et se sentir plus respectables. Même si pour le coup, je ne pense pas que cette hypothèse soit compatible avec la boxe. C’est un sport comme un autre, certes avec une composante d’affrontement direct, mais qui relève surtout des compétences physiques, psychiques et adaptatives.

L’arrivée des femmes dans la boxe est récente, ce fut un combat en soi. T’inscris-tu dans celui-ci ?

Évidemment je me sens concernée quand on parle de boxe féminine, du sport féminin en général. Malgré tout, je ne pense pas mener un combat féministe. Certes, le sport féminin a mis un certain temps avant de se développer, et il peut encore faire mieux d’ailleurs, mais je pense qu’aujourd’hui quand on regarde le sport en général on retrouve des têtes féminines partout, notamment dans la boxe où l’on va être particulièrement bien représentées aux Jeux Olympiques. Ce sera toujours un combat à mener, c’est certain, mais je ne me considère pas désavantagée dans le sport en tant que tel parce que je suis une femme, même dans un sport considéré comme masculin.

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